Le guéridon Art déco : une silhouette à part dans le mobilier du XXe siècle
Apparu dans les années 1920 avec l’essor du mouvement Art déco, le guéridon se distingue comme une pièce à la fois décorative et fonctionnelle. Ni tout à fait table d’appoint, ni totalement objet sculptural, il incarne cette recherche de l’élégance modernisée qui définit l’esthétique du début du siècle. À travers cet article, nous allons explorer les matériaux, les formes et les usages qui rendent le guéridon Art déco si particulier auprès des collectionneurs et amateurs éclairés.
L’Art déco : contexte historique et stylistique du guéridon
Le mouvement Art déco, abrégé de « Arts Décoratifs », prend racine dans les années 1910 et atteint son apogée lors de l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de Paris en 1925. Il répond à une volonté de rupture avec les formes sinueuses de l’Art nouveau, au profit de lignes plus structurées, d’un luxe affirmé et d’une ornementation géométrique.
Le guéridon, en tant que petit meuble d’appoint, trouve naturellement sa place dans cette esthétique. Il épouse les formes géométriques et les matériaux nobles mis en avant par les décorateurs de l’époque, tout en offrant une fonction pratique dans les intérieurs modernes du milieu bourgeois ou de la haute société.
Des matériaux riches pour un raffinement maîtrisé
Le choix des matériaux est l’un des marqueurs fondamentaux du guéridon Art déco. Cette période privilégie les matières luxueuses, souvent issues d’un artisanat raffiné. Voici les principaux matériaux rencontrés :
- Le bois précieux : le palissandre, l’érable sycomore, l’ébène de Macassar ou encore l’amarante sont parmi les favoris. Le placage est fréquemment utilisé, avec une grande attention portée à la symétrie du veinage.
- Le métal chromé ou nickelé : le laiton ou l’acier, poli jusqu’à briller comme un miroir, intervient dans les structures ou les piétements, souvent en contraste avec la chaleur du bois.
- Le verre et le miroir : des plateaux en verre épais ou des incrustations de miroirs viennent rehausser le caractère lumineux des pièces.
- Le marbre ou l’onyx : plus rarement utilisé mais très recherché aujourd’hui, surtout pour les modèles italiens ou influencés par le style de Gio Ponti ou de Jacques-Émile Ruhlmann.
- Les laques : noires, rouges de Chine ou aux motifs stylisés, les laques sont parfois appliquées par des maîtres décorateurs comme Jean Dunand ou Eileen Gray.
Cette variété de matériaux est au service d’un but unique : faire du guéridon un objet de prestige discret, à mi-chemin entre fonctionnalité et démonstration de goût personnel.
Une géométrie aux angles polis : formes et proportions
Le guéridon Art déco se reconnaît immédiatement à ses shapes géométriques franches. Exit les volutes néo-baroques : ici, le cercle parfait, le carré strict, l’ovale flatté sont rois. Les piétements, souvent tripodes ou en double colonnes, accompagnent cette recherche de rythme simple et dynamique.
On rencontre notamment :
- Des guéridons monopiédestal : avec un seul pied central évoluant en socle cylindrique, souvent cannelé ou sculpté.
- Des modèles à trois ou quatre pieds droits : parfois reliés par une entretoise en X ou un plateau bas, pour plus de stabilité et d’équilibre visuel.
- Des plateaux circulaires ou ovales : souvent biseautés, légèrement ourlés ou ornés d’un marqueterie radiale soulignant le centre.
Ces formes témoignent de l’inspiration architecturale du courant Art déco, qui valorise la rigueur, la symétrie et l’équilibre. N’est-ce pas d’ailleurs dans cette tension entre ordre et raffinement que réside l’un des charmes les plus durables du style ?
Fonction et mise en scène : le guéridon dans l’intérieur bourgeois des années 1930
Le guéridon Art déco n’est jamais superflu. Il occupe des fonctions précises dans l’ameublement : il accueille une lampe, met en valeur une sculpture ou un vase contemporain, ou bien sert de support au rituel du thé dans les salons élégants. Son implantation n’est pas aléatoire : près d’un fauteuil club, au centre d’un tapis aux motifs stylisés, ou flanqué de deux chaises en hêtre courbé, il rythme l’espace autant qu’il le meuble.
Parmi les intérieurs emblématiques utilisant le guéridon comme point d’orgue : les appartements décorés par Pierre Chareau, les constructions modernistes de Rob Mallet-Stevens, ou encore les hôtels particuliers meublés par André Arbus. Dans chacun de ces cas, le guéridon est traité non comme un meuble utilitaire banal, mais comme une pièce à part entière du langage décoratif de l’époque.
Des signatures prestigieuses pour pièces rares
Si certains guéridons Art déco ont été produits en série par des manufactures de meubles parisiennes ou allemandes, d’autres émanent de créateurs issus du mouvement moderniste. On pense à :
- Jacques-Émile Ruhlmann, dont les guéridons en palissandre et ivoire sont aujourd’hui parmi les plus recherchés du marché.
- Paul Follot, avec ses compositions décoratives s’inspirant des arts graphiques contemporains.
- André Sornay, qui fait le lien entre l’aridité rationaliste et le raffinement Art déco grâce à l’usage des bois sombres et du métal tubulaire.
- Sue et Mare, qui introduisent dans leurs créations une veine décorative presque onirique, avec des motifs floraux stylisés.
Les pièces signées, ou à forte probabilité d’attribution, peuvent aujourd’hui atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros dans les ventes publiques spécialisées. Leur condition, l’exactitude de leur attribution et la présence d’éléments originaux (plateaux non remplacés, marqueteries intactes, poinçons du fabricant) influent fortement sur leur cote.
Conseils pour l’achat : ce que le collectionneur doit observer
Le marché des guéridons Art déco est à la fois vivant et sélectif. Pour l’amateur comme pour l’investisseur, voici quelques points de vigilance à observer :
- Authenticité des matériaux : un placage moderne peut facilement remplacer un bois précieux. N’hésitez pas à inspecter les chants, les assemblages et les dessous pour vérifier la cohérence.
- Patine et restauration : une restauration bien faite ne diminue pas toujours la valeur, tant que les matériaux d’origine sont respectés. Méfiez-vous des vernis trop brillants qui trahissent une main maladroite.
- Signature ou estampille : elles ne sont pas systématiques, mais leur absence n’exclut pas la qualité.
- Provenance : une pièce dite « sortie de succession » peut receler une opportunité, si le contexte historique est cohérent. Demandez toujours l’origine de l’objet.
Le marché actuel tend à encourager des pièces de taille modeste mais à fort pouvoir décoratif. En ce sens, le guéridon Art déco coche toutes les cases : il est sculptural, identifiable, et parfaitement adaptable aux intérieurs contemporains en quête de cachet.
Où trouver un guéridon Art déco authentique ?
Pour qui souhaite acquérir un guéridon de cette période, plusieurs circuits s’offrent à lui :
- Les grands salons spécialisés, comme le Salon du Dessin ou le Salon des Antiquaires de Paris, qui offrent une sélection haut de gamme avec des pièces expertisées.
- Les maisons de ventes comme Sotheby’s, Christie’s ou Artcurial, où des ventes dédiées au mobilier Art déco permettent d’accéder à des œuvres majeures.
- Les galeries d’antiquaires, notamment dans le quartier parisien du Carré Rive Gauche ou à Bruxelles dans le Sablon. De nombreuses galeries proposent des objets accompagnés de certificats ou d’authentifications sérieuses.
- Les plateformes en ligne (Selency, Proantic, Design Market), avec prudence et en se fiant uniquement aux vendeurs professionnels reconnus.
Dans tous les cas, l’œil averti d’un expert reste le meilleur allié du collectionneur. Comme toujours en matière d’antiquités, mieux vaut acheter une belle pièce avec un historique clair que deux aux origines douteuses.
Le guéridon Art déco aujourd’hui : entre fonctionnalité et collection
Si certains considèrent encore le guéridon comme un meuble d’appoint marginal, de plus en plus de collectionneurs le voient comme un point d’entrée vers la découverte du mobilier Art déco. Compact, évocateur de son époque, souvent signé ou attribuable, il combine accessibilité relative et forte présence esthétique.
Inscrit dans une tendance plus vaste du retour au mobilier vintage de qualité, le guéridon s’intègre avec aisance dans des intérieurs contemporains : en bout de canapé, dans une entrée ou une bibliothèque, il évoque à lui seul un art de vivre raffiné, mais jamais ostentatoire.
Comme le disait Pierre Chareau à propos du mobilier moderne : « Ce n’est pas son aspect qui importe, mais ce qu’il révèle de notre manière d’habiter le monde ». Une leçon que le guéridon Art déco incarne mieux que bien d’autres objets.