Objets de curiosité : une rencontre entre science, exotisme et esthétique
À la croisée des disciplines scientifiques, de l’histoire de l’art et du voyage, les objets de curiosité forment une classe à part dans le monde des antiquités. Ces pièces singulières, souvent en marge des catégories classiques, ont longtemps peuplé les cabinets privés des savants, des aristocrates et des amateurs éclairés. Du XVIe au XIXe siècle, leur accumulation reflétait l’image d’un monde encore à explorer, à comprendre et à classer — un microcosme de savoir et de merveilleux.
Mais qu’entend-on réellement par « objet de curiosité » ? Et pourquoi suscitent-ils encore aujourd’hui autant d’intérêt parmi les collectionneurs ? Partons à la découverte de cet univers hybride, entre science naturelle, art décoratif et exploration du monde.
Un héritage des cabinets de curiosités de la Renaissance
Pour bien comprendre le phénomène des objets de curiosité, il faut revenir aux Wunderkammern — littéralement « chambres des merveilles » — apparues dès la fin du XVIe siècle, principalement dans les cours princières du Saint-Empire, en Italie et en France. Ces cabinets de curiosités représentaient une tentative encyclopédique de rassembler toute la connaissance humaine et naturelle dans un seul lieu.
On y trouvait pêle-mêle :
- des fossiles et minéraux rares, véritables vestiges géologiques ;
- des coraux, des coquillages et des animaux naturalisés venant de contrées lointaines ;
- des instruments scientifiques (astrolabes, sphères armillaires, microscopes anciens) ;
- des objets ethnographiques, ramenés des premières grandes explorations ;
- des artefacts historiques et artistiques d’époques variées.
Ce mélange volontairement hétérogène visait à frapper l’esprit autant qu’à stimuler l’intellect : ces objets n’étaient pas seulement beaux ou rares, ils étaient porteurs de récits, d’énigmes, voire de spéculations philosophiques sur les origines du monde et la place de l’homme dans l’univers.
Des formes et matières aux frontières de l’inouï
Ce qui distingue principalement les objets de curiosité des simples antiquités ou des œuvres d’art, c’est leur étrangeté. Ils sont en général choisis pour susciter le questionnement : est-ce naturel ou fait de main d’homme ? Est-ce un spécimen ou une œuvre ?
Certains objets se prêtent particulièrement bien à cette ambiguïté :
- Les « pierres figurées », achetées autrefois comme fossiles mais que l’on croit modelées par des forces cosmiques ;
- Les boîtes en ivoire gravé rapportées d’Inde ou de Chine, mêlant usage quotidien et minutie ornementale ;
- Les automates du XVIIIe siècle, à mi-chemin entre la mécanique horlogère et la sculpture animée ;
- Les cornes de narval, longtemps vendues comme de véritables « cornes de licorne » — un détail qui se négociait à prix d’or sur les marchés européens !
La curiosité, au fond, naît de cette tension entre naturalia et artificialia, entre phénomène observé et produit façonné. C’est ce qui explique le succès contemporain des curiosités naturalistes : papillons encadrés, crânes humains ou animaux, squelettes, planches anatomiques peintes à la main… Autant d’objets historiquement ambivalents et visuellement fascinants.
Objets de savants, objets de pouvoir
Les objets de curiosité ne sont pas neutres : ils reflètent un contexte social, intellectuel et politique. À la Renaissance, posséder un cabinet bien fourni était affaire de prestige, presque autant que collectionner des tableaux ou des monnaies antiques. Un visiteur illustre comme Montaigne ou, plus tard, Diderot, se devait d’en avoir vu dans sa vie !
La mode des cabinets de curiosités s’est poursuivie jusqu’au XVIIIe siècle, époque des grandes expéditions scientifiques et des classifications rationalisées. C’est alors que les objets de curiosité deviennent parfois des objets d’étude, intégrés à des collections muséales. Le Muséum national d’Histoire naturelle à Paris ou le British Museum de Londres doivent une partie de leurs fonds à d’anciens cabinets privés.
Mais même dans ce cadre savant, l’objet devait séduire. Le naturaliste Buffon, par exemple, aimait disposer des pièces spectaculaires pour capter l’attention du public : des œufs d’autruche géants, des dents de mégalocéros, ou encore des morceaux de météorites.
En somme, collectionner la curiosité, c’est aussi affirmer une forme de pouvoir : celui de savoir, d’avoir vu, de comprendre et d’interpréter le monde.
Le marché des curiosités aujourd’hui
Longtemps relégués aux marges des salons d’antiquaires, les objets de curiosité font depuis une vingtaine d’années un retour en force dans les circuits spécialisés et les foires d’art. Leur singularité séduit un public à la recherche de pièces originales, conversationnelles, voire ludiques.
On retrouve des objets de curiosité dans de nombreux salons :
- La Biennale Paris, où certains marchands allient pièces d’histoire naturelle et mobilier de cabinet ;
- Le Salon des curiosités à L’Isle-sur-la-Sorgue, particulièrement prisé des collectionneurs amateurs de cabinets entiers ;
- La BRAFA à Bruxelles, qui depuis plusieurs éditions laisse une place significative à l’objet insolite et scientifique.
Parmi les pièces phares actuellement très recherchées :
- Les globes terrestres du XVIIe et XVIIIe siècle, souvent montés sur bois tourné ;
- Les instruments médicaux anciens, dont certains au design surprenant ;
- Les taxidermies fines dans leur état d’origine ;
- Les peintures d’étude (botanique, zoologie, anatomie) aux qualités esthétiques affirmées.
Le marché étant hétérogène, les prix varient énormément : quelques centaines d’euros pour une gravure naturaliste bien encadrée, plusieurs dizaines de milliers pour un automate en état de fonctionnement ou un modèle anatomique du XIXe siècle.
Conseils pour les collectionneurs en quête de curiosités
Aborder ce type de collection requiert, comme toujours en matière d’antiquités, une certaine méthode. Voici quelques pistes pour orienter ses recherches :
- Délimiter son champ d’intérêt : Zoologie ? Instruments scientifiques ? Objets ethnographiques ? Cela évitera le piège de l’accumulation disparate.
- Favoriser les pièces documentées : Provenance claire, datation précise, description technique : les certificats d’authenticité sont cruciaux, surtout pour les objets naturalisés ou médicaux, dont la réglementation peut être stricte.
- Consulter les catalogues anciens : Certains cabinets étaient si réputés qu’ils faisaient l’objet de catalogues imprimés dès le XVIIIe siècle. Ces éditions sont aujourd’hui rééditées et permettent des comparaisons utiles.
- Privilégier les objets en bon état : L’usure est tolérée, mais la restauration doit avoir été faite en cohérence avec la technique et l’éthique du moment d’origine.
Un dernier conseil ? Visiter un cabinet de curiosité reconstitué (comme au Muséum d’Histoire naturelle) est en soi une formidable école du regard. Cela aiguise l’œil et alimente l’imaginaire, deux qualités précieuses chez le collectionneur.
Un goût toujours renouvelé pour l’étrange
Si les objets de curiosité fascinent autant aujourd’hui qu’hier, c’est parce qu’ils mêlent avec finesse le savoir et l’émerveillement. Ils nous rappellent que la passion de collectionner, loin d’être un simple acte de possession, est aussi un voyage intérieur vers la connaissance du monde et de soi-même.
À l’heure où l’art contemporain dialogue de plus en plus avec le vivant et où les cabinets scientifiques reviennent au goût du jour dans la scénographie muséale, il n’est pas étonnant que les objets de curiosité retrouvent le devant de la scène. Ils incarnent, en somme, une forme d’encyclopédisme poétique, toujours ouverte à l’inconnu.
Et vous, quelle serait votre pièce de curiosité idéale ? Une pierre aux reflets impossibles ? Un médaillon anatomique en ivoire ? Ou un morceau de comète exposé dans une vitrine Louis XVI ? Le champ des possibles est aussi vaste que notre imagination.