Un style remis à l’honneur : le mobilier Empire aux enchères
Longtemps relégué au second plan des tendances décoratives modernes, le mobilier Empire connaît depuis quelques années une redécouverte notable, notamment dans les ventes aux enchères. Ce regain d’intérêt, d’abord perceptible parmi les collectionneurs avertis, se manifeste désormais à une échelle plus large, touchant aussi bien les amateurs d’histoire de l’art que les acheteurs à la recherche de pièces sophistiquées et nobles. Comment expliquer cette résurgence d’un style longtemps perçu comme encombrant ou vieilli ? Quels sont les repères pour repérer une pièce authentique ? Et quels sont les prix de marché actuels ? Décryptage d’un phénomène que l’on aurait tort de réduire à un simple effet de mode.
Origines et caractéristiques du mobilier Empire
Le style Empire s’impose en France au tournant du XIXe siècle, porté par la volonté de Napoléon Bonaparte d’instaurer une esthétique impériale, à l’image de sa puissance conquérante. Il s’agit d’un prolongement du style Directoire, mais avec une solennité accrue, inspirée des modèles antiques. L’influence de Rome et de l’Égypte – fraîchement redécouverte après l’expédition d’Égypte (1798–1801) – est omniprésente.
Les meubles se caractérisent par :
- Des lignes rectilignes et massives, souvent dépourvues de courbes inutiles, exprimant autorité et stabilité.
- L’usage prédominant de bois précieux, en particulier l’acajou, parfois flammé ou moiré.
- Un décor ornemental à base de bronze doré, souvent appliqué par associations symétriques : palmettes, sphinx, aigles impériaux, couronnes de laurier, allégories romaines.
- Une structure imposante : commodes à colonnettes, consoles avec pieds griffes, fauteuils curules…
Des ébénistes de renom tels que Jacob-Desmalter, Marcion ou Thomire se firent les artisans de ce style, soutenus par les commandes impériales. À l’époque, ces pièces fascinaient : elles incarnaient le faste officiel et un nouveau pouvoir.
Un regain d’intérêt aux enchères depuis les années 2010
Il faut bien l’admettre : durant une grande partie du XXe siècle, le mobilier Empire, jugé trop solennel ou désuet, séduisait peu. Dans les années 1970 à 2000, ces pièces étaient présentes dans les salles de ventes, mais souvent à des prix modestes par rapport à d’autres styles.
Depuis la décennie 2010, les données issues des maisons de ventes confirment une évolution significative. Le mobilier Empire voit non seulement ses estimations grimper, mais suscite aussi des batailles d’enchères inédites. Chez Sotheby’s Paris, une paire de fauteuils en acajou estampillés Jacob Frères a par exemple été adjugée 42 000 € en 2022, bien au-dessus de l’estimation initiale. Chez Artcurial, une console en acajou et bronze d’époque Empire s’est vendue à 28 000 € en 2021, triplant l’estimation basse.
Comment expliquer ce changement de cap ? Plusieurs facteurs se conjuguent :
- Un retour du style classique dans les intérieurs contemporains : associé à des murs blancs ou des matériaux bruts comme le béton, le mobilier Empire retrouve une force dramatique contemporaine.
- Un attrait croissant pour l’histoire matérielle du Premier Empire, stimulé par des commémorations et des publications récentes (bicentenaire de la mort de Napoléon en 2021).
- Une prise de conscience patrimoniale : ces meubles sont les témoins d’un moment historique fort, issu d’ateliers d’exception.
- Une rareté relative : les pièces véritablement authentiques et bien conservées deviennent plus rares sur le marché, incitant les acheteurs à miser fort lorsqu’une belle pièce se présente.
Différencier l’authentique de la réplique : conseils pour les acheteurs
Pour les amateurs attirés par ce renouveau, la prudence reste de mise. Nombre de pièces de style Empire furent produites tout au long du XIXe siècle, particulièrement sous le Second Empire (1852–1870), puis à la fin du siècle lors du goût éclectique pour les styles néo.
Voici quelques repères à connaître :
- L’estampille : Les grands ébénistes, notamment ceux de la Cour impériale (Jacob-Desmalter, Marcion…) apposaient leur estampille sur les montants des meubles. Elle constitue une preuve d’époque, mais attention aux faux très crédibles.
- La qualité des bronzes : Les bronzes dorés d’époque Empire sont finement ciselés, avec une dorure au mercure de grande qualité. Les copies du XIXe sont souvent plus épaisses, moins détaillées.
- Les proportions : Les meubles Empire originaux ont des dimensions imposantes mais équilibrées, avec des lignes calmes. Les répliques postérieures sont souvent alourdies ou maladroitement stylisées.
- Le bois : L’acajou d’époque Empire est d’un rouge sombre profond, souvent flammé. Les copies plus tardives utilisent un placage d’acajou verni de manière plus brillante.
Avant l’achat, un examen minutieux du meuble, de ses assemblages, et idéalement l’avis d’un expert certifié, restent recommandés. Les salles de ventes réputées garantissent une provenance et une description transparente.
Un marché à deux vitesses : prix, rareté et typologies recherchées
Si toutes les pièces Empire ne se valent pas, certaines catégories arrivent en tête des enchères :
- Les sièges en acajou massif – fauteuils, bergères, chaises gondole – présentent une forte demande lorsqu’ils sont d’époque et signés. Une paire estampillée Jacob & Cie peut dépasser les 30 000 €.
- Les bureaux à plateau gainé, souvent dotés de bronzes raffinés, attirent les amateurs de meubles fonctionnels luxueux. Leur prix varie beaucoup selon la provenance et l’état (de 5 000 à 50 000 €).
- Les commodes à colonnes détachées : classiques, élégantes, elles sont aujourd’hui redemandées pour leur présence sculpturale dans un intérieur épuré.
- Les consoles murales avec miroir psyché : elles combinent esthétisme et fonctionnalité, et leur format plus « urbain » séduit de nouveaux acquéreurs disposant de moins d’espace.
À l’inverse, les grandes bibliothèques en placage ou les sommiers massifs, trop lourds ou volumineux, peinent encore à dépasser certaines enchères – même si la tendance évolue à mesure que les goûts se tournent vers des décors plus assumés.
Vers une nouvelle appréciation culturelle du style Empire
Le mobilier Empire n’est pas simplement en train de retrouver une cote : il change aussi de statut. D’objet encombrant des intérieurs classiques, il devient un marqueur de goût, savamment intégré dans une décoration éclectique. On le voit apparaître dans des contextes où on ne l’attendait pas : lofts industriels, maisons de campagne chic, cabinets de curiosités modernes.
Un bec de canard sur un pied de lampe, une table sémaphorique sous une peinture abstraite : le vocabulaire antique du style Empire offre un contraste intéressant – voire audacieux – avec des esthétiques plus contemporaines. Plutôt que de tout harmoniser, on ose désormais juxtaposer. Et dans cette stratégie visuelle, le mobilier Empire devient une pièce forte, presque sculpturale, capable d’instantanément structurer un espace.
Les décorateurs ne s’y trompent pas. Certains noms célèbres du design d’intérieur, comme Jacques Garcia ou Joseph Dirand, ont remis à l’honneur ces meubles autrefois considérés comme figés. La table console à colonnettes, revisitée ou détournée, trouve une nouvelle jeunesse dans des contextes sobres et clairs.
Ce que les ventes aux enchères nous disent de la valeur patrimoniale
Les enchères ne sont pas seulement un indicateur de tendance : elles reflètent aussi une reconnaissance accrue de la dimension patrimoniale des objets. Lorsque des pièces Empire atteignent aujourd’hui des sommets, ce n’est pas uniquement pour leur valeur matérielle, mais aussi pour ce qu’elles racontent de leur temps.
Le mobilier Empire fut conçu pour affirmer une idéologie impériale, mobiliser une iconographie politique et exalter un pouvoir. Lorsqu’un particulier acquiert aujourd’hui une commode 1805, il emporte aussi une part de cette ambition passée. En cela, chaque meuble devient un témoignage d’époque, et c’est sans doute cela qui séduit les acheteurs d’aujourd’hui autant que sa qualité plastique.
À l’heure où les distinctions entre mobilier d’usage, œuvre d’art et pièce de collection s’estompent, le mobilier Empire s’inscrit dans une catégorisation hybride, prisée aussi bien pour l’œil que pour l’esprit. À condition de savoir distinguer, dater, reconnaître les signatures et comprendre la valeur historique.
Prochaine étape : une réévaluation muséale ? Certains musées français commencent déjà à enrichir leurs départements Empire, parfois en réintégrant des pièces issues de collections privées. Un mouvement à suivre de près pour tous ceux qui considèrent l’achat d’un meuble ancien non comme une fin, mais comme une ouverture vers l’histoire.
Sur les marchés, dans les galeries spécialisées comme dans les salons ou les ventes thématiques, il convient donc de garder l’œil alerte : la redécouverte du mobilier Empire ne fait que commencer.