Zoom sur les artistes verriers emblématiques de l’Art déco

Zoom sur les artistes verriers emblématiques de l’Art déco

Zoom sur les artistes verriers emblématiques de l’Art déco

Le souffle de l’élégance : le rôle central des verriers dans l’esthétique Art déco

L’Art déco, porté par le vent d’optimisme de l’après-guerre et nourri par le désir d’élégance moderne, a profondément marqué les arts décoratifs entre 1910 et la fin des années 1930. Parmi les disciplines qui ont façonné ce mouvement spectaculaire, la verrerie occupe une place de choix. Plus qu’un simple artisanat, le verre Art déco est un langage à part entière, mêlant rigueur géométrique, raffinement des matériaux et innovations techniques. Cet article propose une exploration des grands maîtres verriers de l’époque, ceux dont les œuvres illuminent encore salons, galeries et salles de ventes aujourd’hui.

René Lalique : l’alchimiste de la lumière

Impossible de parler de verrerie Art déco sans évoquer René Lalique (1860–1945). À la croisée de la joaillerie et de l’art du verre, Lalique débute sa carrière au sein du mouvement Art nouveau, avant de se réinventer dans une esthétique plus moderne, épurée et monumentale.

Dès 1910, il exploite les procédés de moulage du verre pour produire des objets décoratifs qui reprennent les motifs stylisés chers au mouvement Art déco : visages féminins, figures ailées, formes florales et animales. Il démocratise le luxe en créant des pièces raffinées en verre moulé : flacons de parfum, vases, lustres, bouchons de radiateur pour voitures de luxe…

Son œuvre phare reste sans doute la décoration intérieure du paquebot Normandie (1935), véritable vitrine de l’Art déco flottant. Lalique y conçoit des panneaux lumineux en verre pressé et des lanternes monumentales, démontrant sa capacité à penser l’objet autant que l’espace.

François Décorchemont : la pâte de verre en noblesse

Alors que Lalique popularise le verre moulé par pressage, François Décorchemont (1880–1971) redonne ses lettres de noblesse à une technique millénaire : la pâte de verre. Cet ancien élève de l’École des Beaux-Arts de Paris commence à travailler le verre dès 1903. Pendant les années 1920, il développe une méthode personnelle pour créer des objets en pâte de verre très dense, au rendu satiné et aux couleurs profondes.

Décorchemont se distingue notamment dans la création de vases et de coupes aux motifs abstraits et géométriques, parfaitement dans l’esprit de l’Art déco. Chaque pièce est unique, fruit d’un processus lent et minutieux. Il collabore également avec des chantiers prestigieux : il réalise les vitraux de l’église Sainte-Odile à Paris (1935-1945), dans un esprit résolument moderne.

Sabino : le jeu de l’opalescence

Marius-Ernest Sabino (1878–1961), contemporain et concurrent de Lalique, se spécialise dans les verres opalescents, qu’il obtient à l’aide d’additifs comme l’arséniate ou le fluorure. Cette opalescence, entre bleuté et ivoire, confère à ses œuvres une douceur lumineuse incomparable.

Installé rue Saint-Sabin à Paris, Sabino fonde sa propre société de verrerie dans les années 1920 et développe rapidement une production d’objets décoratifs typiquement Art déco. Ses vases, appliques, coupes et figurines, souvent animés de motifs marins (coquillages, poissons, néréides), se caractérisent par une sensualité poétique. Moins sculpturales que celles de Lalique, les pièces Sabino misent davantage sur la lumière diffuse et les jeux de transparence.

Daum : un classicisme réinventé à l’heure Art déco

La cristallerie Daum, fondée à Nancy en 1878, est déjà célèbre pour ses pièces Art nouveau, mais elle s’adapte brillamment aux exigences de l’Art déco à partir de l’entre-deux-guerres. Portée par Antonin Daum, la maison collabore avec des artistes de renom tels que Louis Majorelle, Jacques Grüber ou encore Henri Bergé.

Le verre arrive désormais soufflé, moulé ou gravé à l’acide, dans des formes nettes et des couleurs plus sobres que celles de l’Art nouveau. Des compositions florales stylisées, des motifs de fruits ou de feuillages géométrisés ornent les vases, carafes et luminaires. La technique de l’incrustation dans le verre coloré devient une spécialité de la maison.

Certaines pièces à motifs imbriqués – citons notamment les séries « Glaïeuls » ou « Dahlias » – atteignent aujourd’hui des cotes élevées en salle de vente, illustrant la permanence du goût pour le style Daum version Art déco.

Le Verre Français (Schneider) : flamboyance et contraste

Charles Schneider (1881–1953), après une formation chez Daum, fonde avec son frère Ernest leur verrerie à Épinay-sur-Seine en 1913. Leur production se divise en deux gammes : « Schneider » pour les pièces haut de gamme, et « Le Verre Français », destiné à une clientèle plus large.

Cette dernière marque incarne à merveille l’exubérance maîtrisée de l’Art déco. Les vases et lampes « Le Verre Français » se reconnaissent à leur décor en camée à l’acide : un contraste bicolore vif, souvent orange sur fond rouge ou mauve, illustrant pommes, griottes, papillons ou hiboux dans un style épuré. Les formes, quant à elles, restent équilibrées, avec des lignes nettes et des proportions harmonieuses.

De nombreux collectionneurs apprécient aujourd’hui ces pièces pour leur lisibilité stylistique et leur influence dans la diffusion à grande échelle du goût Art déco dans les années 1920.

Quelques artistes à redécouvrir

Outre les grandes figures évoquées, mentionnons d’autres noms qui ont contribué à enrichir le langage verrier de l’Art déco :

  • Jean Sala : connu pour ses flacons de parfum asymétriques et ses objets en pâte de verre de petite dimension, il s’inscrit dans un registre plus intimiste.
  • André Hunebelle : ingénieur de formation, il développe dans les années 1930 un style sobre et géométrique aux contours nets, principalement en verre pressé-moulé incolore ou pastel.
  • Pierre D’Avesn : après avoir travaillé chez Lalique, il apporte une touche personnelle à ses créations, souvent signées, présentant des influences cubistes et végétales stylisées.

Leurs travaux, souvent moins médiatisés, sont aujourd’hui activement recherchés par les amateurs désireux d’acquérir des œuvres originales à prix encore abordables, tout en profitant d’un design représentatif de l’époque.

Entre spécificité matérielle et valeur marchande

Ce qui distingue particulièrement les verriers Art déco, c’est la diversité des techniques mises en œuvre : soufflage, pressage, moulage, gravure, sablage, pâte de verre… Cette richesse technique donne lieu à une production variée où chaque maison impose sa signature visuelle. Pour le collectionneur comme pour le professionnel, cette diversité implique une vigilance accrue à l’authenticité et à l’état de conservation.

Les pièces signées, bien sûr, conservent une valeur marchande plus stable. Cependant, certaines œuvres non signées, mais attribuables à des ateliers reconnus, peuvent également constituer d’excellents investissements. Il est donc essentiel de croiser les caractéristiques stylistiques avec une connaissance fine des procédés et des productions. Un vase Sabino à décor de poissons opalescents, intact et bien référencé, peut ainsi atteindre plusieurs milliers d’euros aux enchères.

Pourquoi ces verriers fascinent encore aujourd’hui

Le raffinement du design, la rigueur des lignes, l’innovation dans les matériaux : les artistes verriers de l’Art déco ont su conjuguer art et industrie, beauté et fonctionnalité. Alors que les tendances contemporaines reviennent vers une esthétique sobre et artisanale, nombre de créateurs d’aujourd’hui redécouvrent l’héritage de ces maîtres du verre.

Pour les amoureux d’objets d’art comme pour les collectionneurs aguerris, investir dans le verre Art déco, c’est faire le choix d’un patrimoine lumineux et élégant, témoin d’une époque où le modernisme savait encore parler à l’âme.

Naviguer parmi les signatures, dénicher une coupe oubliée, retrouver un luminaire sur un stand de salon ou dans une vente confidentielle… Voilà aussi ce qui anime continuellement notre passion.